« Tailleur de pierre : un métier noble, moderne et durable, qui touche au cœur et qui recrute ! »

« Tailleur de pierre : un métier noble, moderne et durable, qui touche au cœur et qui recrute ! »

Imaginer, tracer, façonner, tailler. Alors que le marché de l’emploi est à la peine, la pierre s’affiche une nouvelle fois comme valeur refuge. Pour y investir, bien sûr, en témoigne la résistance de l’immobilier. Mais aussi pour travailler ! Les entreprises embauchent à bloc, à commencer par des tailleurs et tailleuses de pierre, dont l’origine remonte à plus de 5 000 ans. Rencontre avec Ghislain Bouchard, tailleur de pierre et formateur Métier de la Pierre au CFA Unicem de Montalieu (Isère).

 

Ghislain Bouchard, tailleur de pierre et formateur Métier de la Pierre au CFA Unicem de Montalieu.

 

Comment êtes-vous devenu tailleur de pierre ? Est-ce une vocation ?

Ghislain Bouchard : Pas du tout ! J’ai commencé le métier à mes 16 ans complètement par hasard. Au collège, je pensais m’orienter vers les beaux-arts et créer des effets spéciaux pour le cinéma. Par curiosité, mon père m’a emmené un week-end à des portes-ouvertes sur les métiers de la taille de pierre à Montalieu. Ça a été le déclic : tout ce qui j’y ai vu m’a impressionné. Dans l’atelier, il y avait un fenestrage gothique, des moulures et marqueteries magnifiques, accompagnés d’explications fascinantes des formateurs. Bref, je suis tombé en amour, comme disent les Canadiens !

Le fait d’être sur le terrain, de voir l’étendue des réalisations, ça m’a touché en plein cœur. Du coup, je ne suis même pas allé jusqu’au bac, j’ai intégré le Centre de formation des apprentis (CFA) dès la rentrée de septembre et l’histoire a commencé. Ça n’a pas été toujours facile, surtout au début, car devant un caillou, j’étais médiocre ! Mais ce métier ne nécessite pas de prédispositions particulières. Seule la motivation compte et au fil des mois, les verrous sautent et c’est la passion pour le manuel et l’artisanal qui l’emporte.

 

Étudiant au CFA Unicem de Montalieu

 

Quel parcours de formation avez-vous suivi ?

Ghislain Bouchard : Une fois inscrit au CFA, j’ai trouvé une entreprise de marbrerie à Bourgoin-Jallieu pour effectuer mon alternance et j’ai préparé un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) en 2 ans. Entre temps, mon maître d’apprentissage m’a inscrit aux Olympiades des Métiers (Worldskills), concours que j’ai préparé avant de finir champion de France en 1998 dans la catégorie taille de pierre. J’ai poursuivi en parallèle un brevet d’études professionnelles (BEP), changé d’entreprise et continué de peaufiner ma pratique. Grâce à cela, j’ai terminé 6ème aux championnats du monde en Autriche, à 3 centièmes de la médaille d’or, c’était fou ! J’ai également passé un bac professionnel à Dijon pour développer l’aspect techniques du métier avant de me mettre à mon compte pendant 15 ans à Pont d’Ain. Ces expériences ont été très formatrices et restent de magnifiques expériences professionnelles.

 

« Avec les nouveaux outils, les métiers de la pierre s’adaptent à la jeune génération »

 

Désormais, quel est votre mission au CFA Unicem de Montalieu ?

Ghislain Bouchard : La transmission de ce beau métier de tailleur de pierre, bien sûr ! Quand je suis arrivé en 2014, le directeur souhaitait redynamiser le pôle pierre du CFA, en perte de vitesse. Il ne restait alors plus qu’une dizaine de jeunes apprentis. Le défi était important, d’autant que ces formations sont rares puisque seuls trois centres proposent de travailler la pierre en France.

Je suis donc parti avec mon bâton de pèlerin voir les patrons d’entreprises pour les convaincre, y compris à l’autre bout du pays. Le but était de les mettre en confiance afin qu’ils embauchent nos apprentis. Grâce à mon expérience et ma passion pour le métier, ça a fonctionné et les jeunes ont commencé à revenir. En 7 ans, nous avons multiplié par quatre les effectifs du pôle pierre ! Le rapport humain, c’est essentiel. Résultat, nous sommes même en train de créer un nouveau diplôme, l’équivalent d’un BTS, mis en place avec les professionnels du métier. Et les entreprises nous plébiscitent.

 

Ghislain Bouchard en train de sculpter un buste de femme

 

Que faire pour redonner de la valeur et de l’attractivité à ce métier auprès des jeunes ? 

Ghislain Bouchard : Être tailleur de pierre, c’est travailler avec son cœur. Pour que les jeunes en soient conscients, il faut d’abord susciter leur curiosité, leur montrer nos réalisations, participer à des salons, présenter nos formations en collèges et lycées et créer des occasions car les belles histoires naissent toujours de rencontres faites par hasard.

Je pense aussi que nous devons davantage entrer dans les facultés : beaucoup de jeunes échouent en première année dans des filières comme celles de l’architecture ou des beaux-arts. Ce sont des étudiants qui sont très sensibles à nos métiers mais qui ne les connaissent pas.

Ensuite, même si le geste reste le geste, les métiers de la pierre s’adaptent à la jeune génération, plus impatiente que celle d’il y a quelques années. Bien sûr les outils traditionnels n’ont pas changé avec la massette, la chasse, les ciseaux ou la broche, avec lesquels on continue de construire des cathédrales, mais leur poids et leur ergonomie se sont considérablement améliorés. Les machines permettent de préserver sa santé au mieux et les conditions de travail n’ont rien à voir avec ce qui se faisait il y a encore quelques années. Grâce à cela, les femmes apportent une vraie plus-value à nos métiers.

 

« Les tailleurs de pierre sont très recherchés, c’est une garantie d’emploi »

 

Le numérique vient bousculer les habitudes…

Ghislain Bouchard : C’est très enthousiasmant, oui ! Dès le CAP, les apprentis découvrent la modélisation 3D grâce au DAO, le dessin assisté par ordinateur. Pas question de rester éternellement derrière un bureau, en revanche ce sont de nouveaux outils avec lesquels on peut faire des merveilles : des bases de colonnes, des corniches, des marches d’escaliers, des cheminées ou des moulures sublimes… Tout cela est modélisé pour sortir le meilleur de la pierre.

Enfin, ce métier fait voyager : en France mais aussi partout ailleurs en Europe, Ecosse, Allemagne, Italie… il y a une vraie ouverture internationale avec du travail partout, du moment que vous prenez votre caisse à outils avec vous ! En fait, tailleur de pierre est un métier vieux comme le monde mais éminemment moderne. Il crée une ouverture d’esprit exceptionnelle et il y a vraiment de quoi s’éclater.

 

Étudiant au CFA Unicem de Montalieu

 

D’ailleurs, les débouchés d’un tailleur de pierre sont aujourd’hui nombreux sur le marché du travail…

Ghislain Bouchard : C’est même un métier refuge anti-crise ! Les tailleurs de pierre sont très recherchés. Dès demain, je peux trouver une place en entreprise pour 10 apprentis en un claquement de doigts tant les besoins sont là. D’autant que nous ne sommes pas dans un métier qui se remplace facilement par des intérimaires car le savoir-faire est une donnée capitale. Nous sommes prêts à former davantage ! Et les débouchés sont nombreux : nous sommes un métier de niche, avec des salaires attractifs, autour de 2000 euros nets par mois. Que ce soit pour des postes d’atelier, de fabrication, d’opérateur numérique, de pose (décoration, funéraire, dallage, ouvrages particuliers comme des escaliers massifs), en bureaux d’études (calepineur, appareilleur, métreur), des postes de commerciaux, de chefs d’équipes ou de contremaître de fabrication, la panoplie de nos emplois est extrêmement large et diversifiée. Je n’ai jamais vu de tailleur de pierre qui en veut se retrouver au chômage ! Un jeune qui se forme aujourd’hui à la taille de pierre a une garantie d’emploi. Les patrons d’entreprises répondent présents, car le manque de main d’œuvre est un vrai frein à leur développement.

 

« Des aspirations vers des choses plus belles, naturelles et écologiques »

 

L’approche écologique de la pierre est-elle un argument qui fait mouche auprès des apprentis ?

Ghislain Bouchard : Totalement. La pierre est un matériau qui dure et qui peut être recyclée à l’infini. Nos étudiants en sont toujours plus conscients et cherchent à donner du sens à leur travail. Bâtir et améliorer la qualité de vie des gens, être en équilibre avec soi-même et le monde qui nous entoure est un vrai plus. Quand on est tailleur de pierre, on traite quelque part de la beauté sur des matériaux naturels. C’est une chance incroyable.

 

Finition d'une sculpture de Ghislain Bouchard

 

Avec l’attrait pour les maisons en pierre, les besoins augmentent-ils ?

Ghislain Bouchard : Oui. Particulièrement en ce moment car la tendance de construction brute et naturelle – donc en pierre, revient en force. Pendant longtemps, le béton a été privilégié, mais les gens ont désormais une aspiration vers les choses plus belles, naturelles et plus écologiques. La nouvelle règlementation thermique RT2020 va pleinement bénéficier à nos métiers. Les matériaux utilisés devront intégrer la fin de vie de la construction, sa démolition et son impact environnemental. La pierre répond à ce besoin. Et les coûts de productions sont de plus en plus compétitifs avec des propriétés thermiques ou phoniques très élevées. Enfin, construire en pierre, c’est favoriser les circuits-courts et le consommer local : les Français veulent améliorer leur emprunte écologique et nous y répondons.

 

« Que ce soient des escaliers ou des ponts, l’énergie positive de nos créations traverse les âges »

 

Quelles sont vos pierres préférées sur lesquelles vous travaillez ?

Ghislain Bouchard : Sans aucun doute la pierre chandore et de Villebois. Ce sont les pierres les plus dures d’Europe sur lesquelles j’aime beaucoup travailler. Les finitions leur donnent des couleurs et des aspects différents. C’est un jeu très intéressant à proposer aux clients, qui permet d’avoir un grand éventail de vente car il y a vraiment de quoi faire. J’aime aussi la pierre blanche de Chandolin dont le Monastère de Brou est composé, avec ses filons de pierres tendres au milieu de pierres dures. Ce sont des matériaux exceptionnels mais qui sont menacés, car beaucoup de carrières ont dû fermer. Ces sites qui ferment m’inquiètent : on perd des carriers locaux de grande qualité avec leur savoir-faire et leur esprit artisanal alors que les gisements ne sont pas terminés et qu’ils permettent de maintenir et restaurer nos monuments, notre patrimoine.

 

Pouvez-vous nous donner les ouvrages qui vous font le plus voyager ?

Ghislain Bouchard : J’aime emmener mes étudiants sur les rives du Lac du Bourget voir l’Abbaye d’Hautecombe, près d’Aix-les-Bains. Elle est magnifique par sa pierre et la qualité de son architecture. A Lyon et ses alentours, il y a toujours de quoi s’inspirer : près de Saint-Vulbas par exemple, une merveilleuse petite chapelle du 13ème siècle se trouve à Marcilleux. Après avoir effectué un relevé, nous avons constaté que sa pierre avait voyagé puisque les Romains l’avait déjà utilisé. Le Rhône à proximité a permis à l’époque son transport, c’est fascinant. Vous avez aussi Brou, je vous le disais, qui est une dentelle de pierre exceptionnelle, ou d’autres petits ouvrages près d’Avignon ou Uzès qui ne paient pas de mine mais qui ont tout ! Je pense enfin au Chai Delas à Tain-l’Hermitage, un chantier récent magnifique réalisé par un génie et qui mêle pierre massive et modernité

 

Chapelle de Marcilleux datant du 13ème siècle

 

A chaque fois, j’aime voir à quel point les tailleurs de pierre marquent le territoire, que ce soient des escaliers, des églises, des ponts ou d’autres monuments. Regardez Dijon : la pierre est partout et les graffs sont rares car c’est beau. La pierre renvoie une énergie positive, nous transformons une matière noble pour la rendre plus belle, plus durable et nous laissons une trace avec nos créations qui traverse les âges. Je ne connais pas plus beau métier !

 


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