Maison Radieuse à Rezé : le béton brut au service d’un habitat plus doux

Maison Radieuse Rezé

Bienvenue à Rezé, au sud de Nantes, 4ème ville du département de Loire-Atlantique en nombre d'habitants. Si la ville de 40 000 âmes n’a pas de centre-ville officiel, un lieu fait tout de même office de totem : la célèbre Maison Radieuse édifiée par Le Corbusier en 1953. Près de 1 500 personnes vivent encore dans cet habitat collectif, construction emblématique de l’architecte franco-suisse. Zoom sur cet ensemble avant-gardiste, où le béton dans son état le plus brut participe à un logement confortable et libre.

 

Le vivre ensemble, autrement

Au sortir de la guerre, Nantes est à reconstruire. À cette même époque, un architecte de renommée mondiale a théorisé un principe moderne de bâtiments d’habitation. Il s’appelle Charles Edouard Jeanneret-Gris, plus connu sous le nom de Le Corbusier. En 1947, sa Cité Radieuse, ce village vertical construit sur pilotis au cœur de Marseille fait office de laboratoire d’un nouveau système d’habitat collectif. L’architecte franco-suisse est en effet le premier au monde à proposer un mélange singulier de logements et lieux de vie au sein d’un même bâtiment. Un concept à la fois utopique et extrêmement cadré, où parc et infrastructures sportives côtoient les « Unités d'Habitation », l’école, les rues et leurs commerces.

L'avocat nantais Gabriel Chéreau, vice-président de la coopérative privée de logement social « La Maison familiale », se rapproche alors de l’architecte pour reproduire l’expérience de la cité phocéenne à Nantes. Seule condition : la Maison Radieuse nantaise devra être une HLM, habitation à loyers modérés. Les coûts de construction devront donc être revus à la baisse. Le Corbusier accepte, son concept d'habitat ayant été conçu dès l’origine comme une réponse innovante au besoin de logement des personnes modestes.

Le projet nantais est finalement implanté à Rezé, au sud-ouest de la ville et à proximité du port. Les travaux débutent en juin 1953 et la Maison Radieuse sort de terre 18 mois plus tard. D’une terre 100% locale ! En effet, les granulats utilisés pour la production du béton sont issus de sites d’extraction de la région : les carrières de la Bourderie et de Saint-Lupien.

Les premiers habitants investissent les lieux en mars 1955.

 

Maison Radieuse : le confort de vie futuriste

Cadre arboré, ensoleillement, traversant est-ouest, ventilation mécanique, chauffage par le sol, double vitrage, cuisine ouverte, ascenseur, etc. Pour les lecteurs du 21ème siècle que nous sommes, rien d’extraordinaire. Ce sont les critères de base de toute jeune famille en recherche d’un nouveau logement. Mais dans la France de l’après-guerre et de la reconstruction, ces conditions d’habitation sont véritablement inédites. Les 294 logements de la Maison Radieuse de Rezé, du studio au T6, répondent aux codes architecturaux édictés par Le Corbusier, fruits de sa longue réflexion sur l’habitat collectif moderne des années 1900, basés sur le sentiment de bien-être et de confort. L’ouverture vers l’extérieur et la libération des contraintes structurelles sont ainsi privilégiées, notamment grâce aux possibilités offerte par le béton armé.

Ainsi, plus qu’un lieu d’habitation collectif, la Maison Radieuse est un lieu de vie à part entière, où 1 500 personnes cohabitent, à l’image d’un village. En plus d’appartements aux aménagements avant-gardistes, l’immeuble accueille une école, un bureau de poste, un marchand de journaux, des cabines téléphoniques et même un petit marché chaque semaine. L’école est située sur le toit, à 52 mètres de haut, elle est la plus haute de France. « Les habitants arrivés en 1955 ont découvert une forme de modernité et de progrès indéniable par rapport à ce qu‘étaient les conditions d’habitation de l’époque. Ils se sont très vite impliqués dans la vie de l’immeuble, sa gestion et ont lié des relations durables entre eux » raconte Patrick Belz, président du syndicat des copropriétaires de la Maison Radieuse actuelle. Le bailleur interrogé en 1962 donnait une photographie précise des occupants de l’époque : 22 % d'ouvriers, 40 % d'employés et 36 % de cadres ou assimilés.

Une architecture radieuse et brute à la fois

Le béton, matériau de prédilection de Le Corbusier, est évidemment la pierre angulaire de ce projet, deuxième des 5 « Unités d’Habitation » qu’il a réalisées en Europe. La Maison Radieuse de Rezé est l’illustration parfaite du mouvement initié par l’architecte franco-suisse : le brutalisme, ou l’utilisation du béton à l’état brut. « Sur le béton brut, on voit le moindre incident du coffrage : les joints des planches, les fibres du bois, les nœuds du bois, etc. Eh bien, ces choses-là sont magnifiques à regarder, elles sont intéressantes à observer, elles apportent une richesse à ceux qui ont un peu d’invention », écrit Le Corbusier en 1952. Redevenu à la mode dans les années 2000, le brutalisme permet en effet une parfaite lisibilité du bâti, une exposition de la structure et une mise en valeur du matériau. Pour Le Corbusier, le béton et ses potentialités, découvertes au début du 20ème siècle, sont un moyen de libérer l’espace des contraintes d’édification. Un matériau idéal au service de sa vision de l’architecture pratique, pour tous. À Rezé, avec 52 mètres de haut, 108 mètres de long et 34 000 m² de surface, la bâtisse fait la synthèse entre monumentalité et simplicité. Une approche là encore avant-gardiste dans la France de l’après-guerre.

« J’ai dit à ceux qui grognassaient un peu contre la rudesse de l’exécution : j’aime cette rudesse, c’est cela que j’aime, c’est cela mon apport dans l’architecture moderne : la remise à l’honneur des matériaux primaires, la rudesse de l’exécution conforme au but poursuivi… » disait Le Corbusier à propos de son usage du béton brut de décoffrage à Rezé. Une rudesse somme toute poétique grâce aux couleurs primaires éclatantes utilisées sur les murs, la fameuse « polychromie corbuséenne ».

Maison Radieuse à Rezé : un patrimoine durable

Alors, près de 70 ans après sa construction, que reste-t-il de l’utopie architecturale de Le Corbusier à Rezé ? Classée Monument Historique depuis 2001, la Maison Radieuse reste tout à fait pertinente dans le paysage urbain nantais et suscite l’intérêt de nombreux visiteurs, touristes ou chercheurs. L’Association des Habitants rend la vie collective toujours aussi riche et le parc, entretenu par les copropriétaires, est l’illustration parfaite de la nature en ville. L’école maternelle est toujours en activité et offre des conditions d’apprentissage exceptionnelles.

« La Maison Radieuse accueille aujourd’hui une plus grande mixité sociale et générationnelle avec des habitants qui ont fait le choix d’y vivre et d’autres, locataires, qui peuvent avoir des réticences à venir y habiter », expose Patrick Belz. En effet, le bâtiment n’est plus uniquement une HLM mais se divise désormais en trois catégories d’habitations : propriétés, locations privées et locations sociales. L'esprit village quant à lui est toujours présent. Malgré les disparités, les habitants se retrouvent autour d'une même philosophie, legs de son architecte. « Il y a l’idée qu’avec ce bâtiment, il a été donné quelque chose de particulier aux habitants, quelque chose qu’il faut entretenir » précise-t-il. Ce que font certains occupants en s’impliquant dans le conseil syndical, l’Association des Habitants, la vie des clubs, la confédération européenne des sites Le Corbusier ou le lien avec les autres Unités d’Habitation.

Si le béton et les peintures ont quelque peu souffert au fil des ans, la Maison Radieuse imaginée par Le Corbusier garde de sa superbe. Des travaux de rénovation sont prévus et porteront « notamment sur la restauration des façades, des claustras béton, des brise-soleils, des pilotis dont les bétons sont carbonatés et qui présentent de nombreux éclats » explique Patrick Belz. « Il s’agira de restauration le plus possible en bétons reformulés. Des arbitrages restent à faire avec la DRAC, le Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques et la Fondation Le Corbusier sur des solutions de remplacement des claustras, de protection cathodique et d’étanchéité ». Quant au béton, si cher à Le Corbusier « il est encore là pour de nombreuses années malgré les quelques éclats de surface » conclut Patrick Belz.

À l'abri, dans son parc classé zone naturelle, la Maison Radieuse fait acte de permanence dans un ensemble urbain qui voit passer les générations. Elle reste le décor impassible du projet à la fois architectural et social de Le Corbusier.

 

Maison Radieuse Rezé
Découvrez d'autres articles !
Les carrières d’ardoise : le bon filon de la Corrèze (19)
Les pouvoirs extraordinaires du galet de la Baie de Somme (80)
Granulats marins : le matériau de construction des façades littorales
Lac de Bordeneuve à Frouzins (31) : l’histoire d’une gravière transformée en havre de biodiversité

sommaire Dans tous ses états !